Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
L'Ogresse de Paris
16 mars 2009

Qu'est-ce que le beau?

La manière aisée de s’entendre sur la beauté d’une personne ou un paysage spontanément qualifié de beau sans qu’il y est nécessairement un intérêt esthétique est en contraste avec la difficulté que l’on rencontre lorsque l’on tente de définir le Beau à l’aide de critères. Néanmoins on peut reconnaître que le beau correspond à ce qui suscite chez l’homme une satisfaction spécifique. Le Beau comme l’Art répondent alors à la satisfaction de ce besoin de contemplation chez l’Homme. Théophile Gautier dans la préface de Mademoiselle de Maupin définit le Beau comme un plaisir dépourvu de finalité telle qu’elle soit : « Il n’y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien. Tout ce qui est utile est laid car c’est l’expression de quelques besoin et ceux de l’Homme sont ignobles et dégoûtants, comme sa pauvre et infime nature. » Cette pensée s’inscrit dans la poésie parnassienne définissant l’art comme la recherche du Beau en tant qu’idéal créateur. Néanmoins cette réflexion nous pousse interroger sur le bien fondé d’une théorie réduisant l’art à sa seule beauté formelle. N’y a-t-il pas autre chose d’avantage semblable au sentiment éprouvé lors d’une création de la Nature qui soit au cœur de la beauté dans l’art ? Par ailleurs réduire l’art à une finalité sans fin ne serait-il pas enfermer l’artiste dans une conception l’excluant du monde de l’art où il aurait sans doute un rôle à jouer par le regard qu’il porte sur les choses dans ses œuvres ?

 

Qu’est-ce que le Beau ? On pourrait tenter de le définir en prenant à rebours la définition de la laideur chez Théophile Gautier. Si ce qui est utile est laid, le Beau aurait alors une finalité sans fin. Car c’est bien le concept du Beau qui est au centre de l’œuvre de Théophile Gautier. L’analyse qu’en a fait Baudelaire confirme cette idée : « Avec Mademoiselle de Maupin apparaissait dans la littérature le Dilettantisme qui, par son caractère exquis et superlatif, est toujours la meilleure preuve des facultés indispensables en art. Ce roman, ce conte, ce tableau, cette rêverie continuée avec l’obstination d’un peintre, cette espèce d’hymne à la Beauté, avait surtout le grand résultat d’établir définitivement la condition génératrice des œuvres d’art, c’est-à-dire l’amour exclusif du Beau, l’Idée fixe. » La préface de Mademoiselle de Maupin prend alors sens dans le contexte littéraire dans le lequel il a été écrit, soit le Parnasse. Les Parnassiens cherchent la beauté absolue de la forme. Ils sculptent leurs vers afin de dire de la manière la plus pure, la plus belle car seule la pureté formelle assure l’éternité de l’Art. Cette conception de l’art comme recherche de beauté formelle est surtout illustrée par la poésie chez Théophile Gautier, notamment dans le Pin des Landes allégorie du poète. Ainsi il faut contempler un objet extérieur mais sans mêler les sentiments à l’œuvre. C’est pourquoi Théophile Gautier affirme « Voir, il me semble qu’il ne faille pour cela qu’ouvrir les yeux ; mais c’est une science que l’on acquiert que par un long travail. Bien des gens de beaucoup d’esprit d’ailleurs à qui rien n’échappe du monde et de l’âme traverse l’univers en véritables aveugles ». En effet c’est l’artiste qui par son regard nous indique la véritable beauté. Kant d’ailleurs dit que « l’art n’est pas la représentation d’une belle chose mais la belle représentation d’une chose ». Madame Bovary serait une banale histoire d’adultère sans le récit qu’en fait Flaubert. Le regard du poète est donc essentiel mais pour les Parnassiens il ne doit pas y apporter sa subjectivité au risque de corrompre la beauté de l’objet décrit. La conception Parnassienne nous pousse dès lors à nous interroger sur l’Art en tant que culte du Beau.

 

Le Beau s’oppose à l’utilité en tant qu’il renvoit à la contemplation, au plaisir désintéressé. Cette théorie est analogue à celle de « L’art pour l’art » telle qu’on la retrouve chez Platon. Platon, dans le Phédon, rend compte de l’idée que l’art apparaît comme une évidence et non pas comme la recherche d’une finalité telle qu’elle soit. Un disciple rendant visite à Socrate lui demande : « Pourquoi Socrate joues-tu de la flûte avant de mourir ? » ; Socrate lui répond alors : « Je joue de la flûte avant de mourir pour jouer de la flûte avant de mourir ». Il y a une finalité sans fin de l’art : c’est une nécessité pour l’artiste mais dépourvu d’efficacité utilitaire. En outre, la Beauté formelle telle que la conçoit Théophile Gautier est-elle nécessairement le Beau ? On serait tenté de croire qu’une œuvre réussie est celle qui s’affranchit des règles académique et dont l’aura ne s’explique pas. Kant d’ailleurs définit le génie comme celui qui loin d’appliquer des règles telles qu’elles soient est celui qui les crée. Dans ce cas la différence entre une œuvre d’art et un chef d’œuvre serait peut-être la grâce. Il est intéressant de voir ainsi que dans la mythologie grecque la Beauté est un des éléments formant la Grâce puisque les trois Grâces étaient les divinités grecques de la Joie, du Charme et de la Beauté. Proche des Muses, elles font partie de l'entourage d'Apollon. Elles embellissent la vie des hommes et des dieux et inspirent les artistes.  L’œuvre d’art parfaite est celle qui propice à l’expérience esthétique nous fait éprouver un sentiment océanique. Le Beau devient commun, nous poursuivons notre chemin lorsque nous le rencontrons. Nous disons « c’est beau » de tout. L 'aura d’une œuvre nous laisse bouche bée. La grâce renvoit à l’indicible. Orlando, dans le livre du même nom de Virginia Wolf, ne trouve ainsi aucun mot équivalent au sentiment qui l’envahit lors de la contemplation d’un paysage dans le langage bohémien. La traduction verbale qui s’en approche le  plus est « c’est bon à manger ». L’art doit nous faire éprouver le même sentiment océanique que les promenades de Rousseau : Tout est là. Le Beau serait une Grâce incomplète. Dès lors, la Grâce surpasserait également le Beau en Art.

 

Par ailleurs, le problème suscité par la définition du Beau en parallèle à celle de l’utilité pose problème quand on illustre cette idée par des exemples artistiques. En effet, l’Art est traditionnellement considéré comme une recherche du Beau. En outre, l’utilité renvoi à l’objet technique, or celui-ci est utilisé dans l’art moderne. L’art du XXe siècle a bouleversé les pratiques artistiques et les artistes depuis sont bien loin d’être cloîtrés dans leurs ateliers derrière leur chevalet ou leur bureau. On ne peut pour autant dire que la quête du Beau est été délaissée irrémédiablement. Non, ce qui définit le Beau dans l’art contemporain c’est le regard que l’artiste décide de porter sur une chose telle quelle soit. Cette idée était déjà présente chez Baudelaire dans le poème À une charogne, où prenant comme thème une carcasse répugnante le poète n’en écrivit pas moins des vers délicieux. Dans le domaine des arts plastiques c’est Marcel Duchamp qui a instauré ce nouveau rapport avec le Beau dans l’art par le ready-made. Dans son œuvre Fontain, l’objet utile par excellence, tel qu’il est décrit par Théophile Gautier, un urinoir, devient un objet de contemplation. Il est amusant de penser que l’objet le plus dénigré par Théophile Gautier (« tout ce qui est utile est laid (…) L’endroit le plus utile d’une maison, ce sont les latrines. ») soit devenu objet de contemplation.

Fontaine_Duchamp


En outre, si l’art doit être absolument dépourvu d’une finalité telle qu’elle soit, il ne peut donc pas y avoir d’artiste citoyen qui privilégie l’idée, le message aux qualités plastiques de son œuvre. Si la critique de l’art utile était de mise pour les artistes dandy du XIXe siècle, cette conception d’art comme traduction formelle du Beau est aujourd’hui désuète dans un siècle où les artistes citoyens s’impliquent dans des combats sociaux et politiques qui leur tiennent à cœur. On assiste aujourd’hui à une politisation de l’art contemporain. Barthélemy Togo par exemple puise les sujets de ses œuvres dans les problèmes économiques, géopolitiques ou sociaux. Il s’intéresse à la question des frontières, à la circulation des personnes ou encore au déséquilibre des échanges commerciaux. Il crée ainsi des vidéo performances dans lesquels se mettant en scène il aborde des sujets tels que les rapports Nord/Sud, la collusion des pouvoirs, la politique internationale, la circoncision. Les œuvres découlent d’une réflexion préalable sur le monde qui entoure cet artiste camerounais.

artist25_02


Néanmoins dans ces œuvres le message est souvent privilégié au dépend d’une véritable recherche esthétique. Ceci pose problème pour délimiter ce qui est de l’ordre du témoignage et ce qui est de l’ordre de l’œuvre d’art. En effet le témoignage emprunte à l’art son aspect pour le rendre plus attrayant, pour créer un impact manifeste chez le spectateur : il y a alors un risque que l’art bascule dans le divertissement ou l’arme politique. Ce problème a été au cœur de la polémique suscitée par le film de Michael Moore Fahrenheit 911 primé au Festival de Cannes dont le sujet était de mettre à jour les failles du président américain Georges Bush. Le documentaire y était affirmé par les membres du jury comme une œuvre du septième art. On est alors en droit de ce demander si ce sont les qualités plastiques de l’œuvre qui ont été primées ou son audace politique. Ne faut-il pas séparer l’engagement de l’artiste de son œuvre ? Sans doute faut-il prendre les sujets d’actualité comme source d’inspiration et non comme finalité. Aujourd’hui le culte du Beau n’est plus ce qui prime dans l’art. L’œuvre d’art qui crée de la beauté par une recherche stylistique affirmée se voit d’ailleurs souvent taxée de décorative.

 

Néanmoins les œuvres qui fonctionnent à la fois sur le plan plastique et réflexif atteignent leur but car elles ne délivrent pas d’emblée leur message. Elles forcent le spectateur à s’interroger grâce au charme qui se dégage des moyens plastiques mis en place ayant un impact visuel fort. C’est le cas de l’œuvre de Gary Hill Frustrum. Cette installation mise en place en 2006 au sein de la fondation Cartier  est constituée d’une projection de synthèse en vidéo, d’un bassin d’huile et d’une sculpture en or. Sur l’écran on aperçoit un aigle gigantesque enfermé dans une sculpture pyramidale semblable à un pylône électrique qui se débat en déployant ses ailes. Son image se reflète dans le bassin noir qui est secoué d’onde lorsque l’aile de l’aigle l’effleure virtuellement. Les ondes brouillent l’image de l’aigle dans le bassin et vont se propager jusqu’à la sculpture en or où est inscrit la maxime « For everything which is visible is a copy of that which is hidden »De toute chose visible il existe une copie qui est invisible). Le son fait également partie intégrante de l’œuvre puisque les débats de l’aigles avec les câbles sont ponctués par des bruits de fouets se propageant dans l’espace. Cette œuvre a un impact physique fort chez le spectateur tout en prenant pour point de départ les notions de valeurs et de monnaie pour amener celui-ci à s’interroger sur la société de consommation.

Gary_Hill_3_06eca

 

 La préface de Mademoiselle de Maupin ouvre la voie d’une réflexion sur le concept de Beau mais également sur celui d’Art. En effet selon Théophile Gautier l’Art découlerait d’une transcription du Beau. L’Art tout comme le Beau serait ainsi un plaisir inutile, une fin en soi. Mais l’assimilation comme telle de l’Art à l’inutile pose problème dès que l’on observe l’évolution moderne de l’art : les artistes qui non contents de détourner les objets techniques dits utiles et non conformes à la beauté académique, endossent également un rôle différent du simple indicateur de beauté en créant des œuvres à messages sociopolitiques. Dès lors les œuvres d’art dépassent une simple visée formelle sans pour autant perdre leur aura. La question de la Grâce dépasse alors l’idée de Beau dans l’Art.

Publicité
Publicité
Commentaires
N
j'ai l'impression que picabia a "copié" théophile gautier puisqu'il dit aussi que ce qu'il n'y a que ce qui est inutile qui est beau :D
N
c'est un article très intéressant, sophie - merci de me l'avoir fait découvrir (je ne venais pas sur ton blog à cette époque ;) )
O
il n'y a pas d'imbéciles ici, ils sont refoulés, j'ai mis un videur à l'entrée<br /> merci pour ce joli commentaire, ça me donne plein de courage pour la suite.<br /> <br /> Ce n'est pas grave si tu n'as pas tout compris, je n'ai peut être pas été assez claire dans certains passages, et ce blog et là pour ça aussi (me dire ce qui cloche!)<br /> <br /> De toute façon ce n'est qu'une approche du beau qui peut être traitée de mille façons différentes...
M
En ce jour de deuil, je me réfugie dans ta sensibilité... je n'arrive à trouver aucun mot aujourd'hui pour décrire ce que je ressens, ou du moins les phrases sont totalement disparates - ce qui donne le néant.<br /> Mais ton blog est magnifique, tout à ton image... j'ai adoré tes esquisses du Quai Branly, je n'avais pas eu l'occasion de les contempler. En outre, ta dissert sur le Beau est l'occasion rêvée pour des abrutis comme moi de faire un copier/coller mais moi je n'en ferai rien - par contre les bacheliers... je n'ai pas tout lu, ni tout compris, et le doute s'empare de moi. Suis-je bete? tu vas me répondre non, mais en tout cas tu l'es moins que moi...voire pas du tout!<br /> Allez tout est génial, félicitations ma belle.
Publicité