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L'Ogresse de Paris
29 mars 2009

Jardin de mots

La notion de jardin nous interpelle par ce qu’elle connote : Jardin d’Eden, Jardin des Délices, Jardin des Hespérides, Jardin des Oliviers…Espace clos propice au recueillement, c’est un espace secret, intime, protégé. Dans le mot jardin on retrouve trois idées similaires à l’Art : la création, l’imitation de la nature, l’expression des sentiments. L’intérêt étant alors de voir en quoi la spécificité d’un jardin correspond à son créateur (jardin zen, français, anglais…) Comment un artiste adapte-t-il un lieu pour le transformer en espace de création ? Comment cette notion trouve une place dans les œuvres de Monet peintes à Giverny et celles des artistes contemporains, notamment les Land artistes ? Durant vingt ans, Monet réalisa de nombreux paysages de Giverny. Cet espace n’était pas un simple jardin de fleurs mais un lieu coloré dont les massifs, dont les fleurs étaient destinés à fleurir en même temps. Monet élaborait, avec patience et l’aide de jardiniers, la mise en place des plantes qui devenaient autant de sujets à peindre. Il disait ainsi « Mon chef d’œuvre, c’est mon jardin » Monet par le soin pris à son jardin n’était-il pas dans un sens précurseur des installations du land art ? Le jeu avec la nature étant au centre de l’impressionnisme et du land art, on y retrouve les mêmes préoccupations plastiques : couleur, matière, lumière. Si les impressionnistes avaient pu fuir l’espace confiné de l’atelier pour peindre sur le motif grâce à l’invention du tube de peinture, les techniques modernes et la photographie en particulier ont ouvert de nouveaux horizons. Les années soixante se sont ouvertes sur une volonté de la part des artistes de fuir musées et salles d’exposition pour intervenir dans le réel. C’est alors une redécouverte de la nature. En jouant avec elle, les artistes introduisent la notion d’éphémère par exemple. Créer un jardin c’est aussi s’inscrire dans une logique du regard, de la construction d’un espace, tracer un chemin de sensations et d’expériences. Différents jardins naissent de cette approche de la nature : Champs de coquelicots chez Jan Kopp, potager de Fischli et Weiss, massifs d’étiquettes pour Paul Armand Gette ou jardin de mauvaises herbes dans l’œuvre de Ian Hamilton Finlay.

 

On associe souvent le jeu des artistes contemporains avec la nature à une image d’œuvres gigantesques, monumentales, à l’exemple de Robert Morris et son Observatoire. Néanmoins, les notions d’éphémère et fragilité ne sont pas à exclure pour autant. De même, l’idée de Land Art nous inspire un regard un peu froid sur un paysage désertique et nous fait oublier que certains artistes ont choisi de recréer des espaces intimes : les jardins. Dès lors, il est intéressant de voir les liens qui s’établissent dans ces œuvres entre le langage et la nature, les analogies entre la symbolique des fleurs et des mots introduits par les artistes dans un espace clos. Comment le jardin devient cet espace narratif où se mêlent mots d’artistes et plantes ?

En effet, le jardin est un lieu porteur d’histoires et d’une symbolique marquée. L’artiste devient ainsi le jardinier qui sème, organise, collectionne. Il s’écarte du champ habituel d’exposition muséale pour se tourner vers l’extérieur et le familier. Car le jardin c’est avant tout un espace voué au retour à : retour à la nature mais aussi retour sur soi. C’est un espace propice à la méditation. Paul Armand Gette dans « Rubia peregrina L » à l’occasion de l’exposition proposition paysagère du centre d’art Crestet en 1994, revient d’une certaine manière aux habitudes des botanistes d’écrire sur de petites étiquettes le nom de leurs plantations. La réflexion sur la nomination de ce qui constitue le paysage s’inscrit alors dans la tradition du « potager ». Ian Hamilton Finlay va plus loin en recréant tout un monde poétique dans Little Sparta, « jardin-domaine » dans lequel sont dispersés une quarantaine de monuments : stèles et colonnes gravées de mots jouant avec les splendeurs du paysage dans lequel ils s’inscrivent. On y retrouve des figures héroïques liées à une réflexion sur l’art avec ses références à Poussin, Lorrain, Friedrich… Des bancs gravés de textes personnels ou poétiques empruntés invitent au repos et l’évasion. Le banc semble d’ailleurs avoir son importance dans l’idée de jardin. C’est l’endroit d’où l’on contemple la nature. On le retrouve ainsi dans l’œuvre de Jenny Holzer qui grave sur huit granites gris en s’appuyant du savoir faire local de Pontevedra en Espagne ce qu’elle appelle « Truisms ». Les bancs sont alors des œuvres faites pour être vues mais aussi des invitations au regard. Il semble alors essentiel d’analyser l’aspect que prennent les œuvres pour comprendre quel regard porter sur les mots gravés et le paysage. En effet si l’Apollon Terroriste de Ian Hamilton Finlay est à la fois élément nostalgique et de dérision, les stèles gravées ont un aspect bien plus austère.

 Les artistes contemporains en créant ainsi ces jardins inventeraient des mondes fantastiques, parfois empreints de nostalgie, tout comme autrefois les labyrinthes ramenaient à une idée d’espace mythique. Dans ces jardins de mots, le langage ne sert pas seulement à désigner les choses. Il amène une part narrative au lieu. Le mot sert à délivrer une histoire invisible à l’œil nu. Il sert de signalisation en fixant notre regard sur tel endroit du paysage. Il nous invite à être plus attentif à ce qui nous entoure.

 

Après m’être interrogée sur ce la façon dont certains artistes, principalement Ian Hamilton Finlay, jouent avec les mots et les jardins, je me tourne à présent vers l’aspect plus symbolique du jardin. Au fil de mes lectures, j’ai découvert que cet espace était avant tout un espace intime. Ce n’est pas uniquement un lieu réel mais aussi un endroit onirique, imaginaire, intérieur. Dès lors l’analogie avec le processus de l’écriture n’est pas anodine.

Dans Phèdre, Platon s’interroge sur le pourquoi de l’écriture. Socrate raconte alors le mythe de Theuth, divinité de l’écriture dont l’invention est soumise au jugement de Thamous. (274b) Ce dernier soulève le problème que pose l’écriture quand à la mémoire. Il prédit que les Hommes n’exerceront plus leur mémoire puisque l’écriture leur servira d’appui et qu’elle tiendra lieu dans leur esprit de vérité absolue qu’ils ne chercheront pas à remettre en question. L’écriture devient alors un outil de « remémoration ». Un peu plus loin Socrate compare l’écriture à un jardin. (276a) Il s’agit pour Socrate de trouver par des écrits justes le chemin de l’immortalité. L’expression « écrire sur l’eau » m’interpelle aussi bien par ce qu’elle signifie quant au discours de Socrate, critiquant Lysias imbu de ses mots, que par ce qu’elle connote dans mon esprit : elle me ramène aux œuvres des artistes du land art et l’idée d’éphémère dans le jardin. Ecrire sur l’eau : voilà une image qui nous ramène au rêve, à l’onirique.

L’idée de palimpseste reste néanmoins encrée dans mon esprit. Il me semble intéressant de noter la façon dont jardin et écriture tissent un lien étroit avec la mémoire. Dans les deux cas, il s’agit de laisser une trace, une empreinte. Freud dans Le bloc magique a analysé le rapport à la mémoire et à l’inconscient dans le processus d’écriture. Ecrire serait une manière de pouvoir restituer une pensée à un moment donné dont on n’aurait pas pu se souvenir sans ces notes. Il compare alors notre « appareil perceptif psychique » à un bloc magique où s’inscriraient chaque fois de nouveaux souvenirs sur les anciens. Notre mémoire fonctionnerait alors comme un palimpseste. Après tout, créer un jardin c’est aussi semer des graines dans un sol déjà pourvu d’histoire.


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Commentaires
D
ha nikki de saint fale jador!!! cette vidéo respire le bien être je trouve!!! continue!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
L
trés sympa merci pt ogresse
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