Palimpseste
L’artiste s’engage dans une action et laisse des traces,
inscrit des signes, élabore des écritures et propose des œuvres en utilisant
différents outils, supports, espaces et expérimente des techniques ou des
pratiques où le geste est important. Cette réflexion sur le geste en tant
qu’acte porteur de sens se rapproche de l’art ancestral de la calligraphie.
Rolland Barthes dit d’ailleurs ceci « écrire n’est pas seulement une
activité technique, c’est aussi une pratique corporelle de jouissance ».
L’écriture fait donc doublement partie de l’expression par le langage et par
l’art. On peut alors s’interroger sur le langage, plus particulièrement sur les
multitudes de civilisations possédant chacune sa propre écriture. Kossuth par
exemple en réalisant un hommage à Champollion s’est plongé dans culture
égyptienne antique. De plus, il est intéressant de voir la multiplicité de
rendus possible à partir de cette seule idée d’écriture dès lors que l’on
utilise différents supports et outils (bambou, pinceau, feutre…) pour par la
suite les rassembler par collage. Cette idée de strates on la retrouve dans la
peinture des cubistes Braque et Picasso ayant travaillé le collage. Par
ailleurs, au XIIe siècle, les Japonais ont établi un lien entre la
calligraphie et le collage, puisque après avoir écrit des poèmes (les Haïkus)
sur différents papiers, ils les assemblaient et les collaient sur un support
plus grand pour les unir. On aboutit déjà alors à la notion de
« palimpseste ».
Ce lien entre l’écriture et la peinture m’a fortement
intéressée et m’a conduite à me documenter davantage sur les pratiques
ancestrales des calligraphes. J’ai alors découvert cette citation d’un moine
taoïste, peintre chinois du XVIIe siècle : « Les gens
croient que la peinture et l’écriture consistent à reproduire les formes et la
ressemblance. Non, le pinceau sert à faire sortir les choses du chaos ».
J’ai cherché la façon dont on peut rendre compte du dynamisme de la sortie du
chaos en tant qu’élément signifiant. Je
me suis alors intéressée à la façon dont Pollock s’exprime de façon directe et
spontanée en faisant de la peinture un langage à part entière ou dont Georges
Matthieu engageait son corps dans l’acte pictural devenant alors écriture
automatique. L’éclaboussure, l’accident deviennent ainsi des éléments
plastiques et garantissent la spontanéité. Ma problématique se précisait alors
et devenait le « palimpseste » : en superposant les couches
d’écritures, le texte perd peu à peu son sens sémantique mais gagne en
plasticité par les imprévus (ratures, tâches, coulures…). Les mots changent au
fil des réécritures, s’imposent comme une évidence puis disparaissent sous les
différentes couches. C’est sans doute revenir à une pratique qui se perd, celle
du brouillon, depuis la banalisation de l’utilisation de l’informatique. Et
pourtant on ne peut nier les qualités plastiques, graphiques de ceux
d’écrivains tels que Proust, Rimbaud ou Hugo. Enfin la problématique du
palimpseste s’inscrit dans une interrogation plus générale de l’utilisation du
langage, des mots chez les artistes. En effet de nombreux artistes
contemporains utilisent l’écriture dans leurs installations comme Ian Hamilton
Finlay (The present order is the disorder of the future, Saint Just,
Little Sparta, 1983), Barbara Kruger (Don’t be a jerk, Melbourne
1996) ou Jenny Holzer (Arno, 1996-1997, biennale de Florence). Le mot
devenant alors ce signe visuel omniprésent à l’heure du matraquage publicitaire.